Il me reste moins de 4 minutes.
Je vais finir aussi froid que cette masse d’eau pure, 30 mètres face au vaisseau, qu’un événement intemporel, un vent cosmique ou quelque autre grave bouleversement olympien avait flanquée un jour au beau milieu de la gravière marbrée d’ocre, d’or, de manganèse, d’arsenic et de soufre qui me retient depuis 83 heures 26 minutes et 45 secondes… 46, 47, 48…
Quelle erreur! Me fourvoyer ici, pour disparaitre dans moins de 3 minutes et 43 secondes désormais, sur le lit d’une fosse abyssale sombre et glaciale, aux parois raides, vertigineuses, angoissantes, râpeuses et cyniques qui n’ont de cesse depuis mon dernier plongeon, si prétentieux soit-il, et bientôt fatal, de me révéler ma petitesse et mon isolement, répondant à chacun de mes appels de détresse par des échos effrayants d’une subduction morbide et bientôt tristement macabre.
Je déteste cette étoile, je hais ce système, j’abhorre cette planète!
Moins de 4 jours: après mon entrée en orbite, j’avais cru capter un signal, l’assonance d’un triolet.
83 heures, 27 minutes et 2 secondes: l’I.A. avait aussitôt pris l’initiative d’enregistrer une sorte de morse, sur plusieurs fréquences. Quelque chose semblait émettre un signal de bonne qualité aux antipodes.
Mais je n’ai jamais trouvé la source. J’avais pourtant effectué tant de révolutions autour de l’astre mort, qu’on aurait dit les circonvolutions d’un électron autour du noyau d’un atome. Ce fut sans résultat mais j’étais excité, jamais je n’avais capté un signal aussi fort, aussi net, aussi clair, j’étais impatient, frustré, étourdi et… Forcément imprudent. Je décidai de pénétrer le centre de la planète, repérer d’abord la plus horrible escarre à sa surface, le plus profond de ses gouffres, puis m’y précipiter sans réfléchir.
Ma descente, le long des falaises abruptes fut longue et grandiose, entre les aspérités et les rochers aux formes fantasmagoriques.
Sournoisement, l’astre m’avait laissé me poser sans peine ici bas, doucement, « piano piano » dans la pénombre, entre quelques hydrates égarés parmi les chaos météoriques des derniers débordements désordonnés de ce maudit système. Ce furent étonnamment après une descente, un atterrissage parfait. N’étant pas habitué à de telles performances, j’aurais dû me méfier. D’ailleurs les chaînes de montagnes ocre jaune que j’avais survolées en arrivant me faisaient plus penser à des morceaux de colonnes vertébrales monstrueuses d’aliens gigantesques fossilisés, les montagnes aux vertèbres, et les fosses adjacentes à des griffures profondes, des blessures hideuses, témoignages effrayants de leurs combats titanesques ancestraux.
Car le funeste projet de l’objet céleste était finalement de m’emprisonner là, et me garder auprès de sa collection de gaz, et rien d’autre; et je réalisai encore, s’il le fallait, que malgré notre conscience et notre vie, tout organique qu’on est, on ne vaut pas grand chose finalement dans l’Univers, et surtout pas moi cette nuit, pas mieux qu’un gaz à cet instant.
Le piège, plutôt qu’à une nasse, me fait penser à une sorte de toile répandue tout autour de la sphère morte et rugueuse qui me retient; je m’attends à voir jaillir à chaque instant de la roche, deux gros yeux rouges composés de centaines de petites billes effervescentes prêtes à me dévorer.
C’est donc là que je vais laisser mes os, dans moins de 3 minutes. C’est trop bête. Disparaitre avec les espoirs des Compositeurs, le souvenir de Hans. Abandonner Rosa seule dans le cosmos est un immense chagrin.
Comme je vous parle, de l’endroit sinistre je ne distingue maintenant presque plus rien; les couleurs s’estompent, bleu, vert jaune, rouge, orange, se grisent tant la vitre du poste de pilotage se couvre vivement d’un givre allègre, implacable et mortel. Mon corps se comprime, je sens, tout en moi se ramasse, et je ne vois plus rien, j’entends encore un peu, ma respiration dans le masque, et ma mémoire… J’aurais tant aimé retrouver Rosalie avant de la reperdre et me perdre à mon tour.
J’aurai vu, en vrai, les étoiles que je voyais dans les yeux de Hans quand il croisait les siens. Mais j’aurais voulu entendre sa voix encore et rire ou sourire avec elle encore des folies soniques de mon maître disparu…………..