Les aventures du commandant Cooler King

Mitra Estate

– « 3 minutes et 11 secondes… 10… 9… 8… »…………………..

J’avais rencontré Hans le lundi 21 septembre 3265 exactement. Le jour de la rentrée sur « Mitra Estate », début des auditions à l’E.S.M.S.

Un an plus tôt, mes parents avaient fui le conflit dans la région de Gateway et trouvé refuge dans le système Farack. Selon eux, Mitra était l’endroit idéal pour poursuivre mes études. Mon père, grâce à ses relations, avait rapidement dégotté un petit boulot de technicien à la maintenance du spatioport. Évidemment, c’était bien loin de ses préoccupations d’archéologue, mais au moins ça lui permettait de rester auprès de moi. Ma mère quant à elle, scientifique elle aussi, spécialisée dans la chimie des polymères, était repartie en mission peu de temps après notre arrivée. Elle avait réalisé la prouesse, en ces temps troubles de crise où la priorité n’était pas aux savants et à leurs recherches, de monter en un tournemain une expédition solide et peu couteuse à destination de Proxima, accompagnée d’une horde de scientifiques de renom dont mon père disait qu’ils étaient tous « au moins aussi zinzin que maman »!

En réalité il les connaissait tous très bien puisqu’il avait passé plus de la moitié de son existence cosmique avec toutes ces têtes brûlées de la Science, lors de ses propres recherches, ses « baguenaudes intersidérales » comme il aimait les appeler.

 

– » Il me reste 3 minutes…. J’ai vraiment froid. Je ne vois plus rien. Si seulement l’I.A. pouvait me laisser déployer le SRV?!… »…………………..

Malheureusement, peu de temps après le départ pour Proxima, il y avait eu cet appel de détresse, capté  par la sécurité du « Pythagoras Port » dans le système Selkana; la dernière fois que j’ai entendu ma mère prononcer nos prénoms, à mon père et à moi: « Yan!… Je… Virgile… » Puis un grésillement dans les haut parleurs et plus rien. Plus jamais de contact. Plus jamais rien. C’était une lourde perte pour la science et pour nous deux …

– » J’ai vraiment trop froid… Et ces souvenirs me glacent un peu plus… »…………………..

Quelques mois plus tard, des vaisseaux de l’Empire avaient retrouvé et restitué à l’Alliance le seul rescapé connu à ce jour, découvert par hasard dans sa capsule de survie dans un anneau rocheux du côté de Callici. Personne n’a jamais pu nous expliquer la présence de cette capsule de ce côté de l’univers; car en dérivant depuis la région de Selkana, il était tout à fait impossible de trouver des traces de l’expédition dans cette partie du Cosmos.

Le cœur brisé, mon père n’avait pas essayé d’en savoir davantage. Et puis nous savions à la maison que chaque expédition était dangereuse, périlleuse; il y avait peu de systèmes en paix, les pirates hantaient les étoiles et la nature même était souvent hostile.  Pourtant si chaque départ était mortifère, les retours à chaque fois, se transformaient en feux d’artifices de bonheur et de joie, en une véritable renaissance.

Mais nous le prenions comme une chance. En menant une telle existence  nous ne vieillissions pas et, paradoxalement, je peux dire que j’ai grandi ainsi. C’est peut-être pour cela que, mieux que Yan,  j’acceptais la disparition de ma mère. Mais ma peine était grande et le vide immense bien sûr, la raison n’empêchant pas les sentiments.

-« Je ne sais pas si c’est une illusion, mais il me semble que l’intérieur de la cabine s’éclaircit. Je distingue à peine la vitre du cockpit (c’est comme ça que disait Hans), et un peu de broderie des cristaux de givre… Que se passe-t-il?…. »…………………..

On n’a jamais vraiment su le détail des négociations, mais les impériaux avaient certainement marchandé en leur faveur, avec l’Alliance, le rapatriement du scientifique rescapé.

Le savant en question était un original, assez rigolo je dois dire, et je le connaissais pour l’avoir croisé maintes fois à la maison. Il avait ce pouvoir extraordinaire de faire rire ma mère dès qu’il ouvrait sa bouche pleine de dents en or. J’étais fasciné par ce trésor!

Il s’appelait Steven je crois, c’était un grand être filiforme, maigre, tout pâle, à la tête toute plate avec de grands yeux clairs exorbités, de part et d’autre d’un gros nez boursoufflé, violacé, héritage forcé – il n’avait pas besoin de ça le pauvre! –  d’un ancêtre poivrot qu’on avait un jour retrouvé mort noyé dans une barrique de vin sur  la station « Reamy Dock » dans son système natal d’Ethen.  Je me souviens bien de lui oui, il avait aussi des sourcils très épais on aurait dit des cornes, et les oreilles décollées, il n’était vraiment pas beau du tout, très laid même.

Papa l’appelait « pébroque »: non seulement à cause de tous ses longs cheveux noir jais hirsutes qui pendouillaient comme un palmier de tous les côtés de la plateforme qui lui faisait office de crâne , mais surtout parce que, lors de leurs missions, il n’a jamais pu déployer une parabole, ou dresser une antenne, sans hurler une fois l’objet fixé: « Avis à la población! çaaaa y eeeest on a dééééééplié l’pébroque ! « …

D’ailleurs mon père me le disait, tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à une parabole c’était un « pébroque  » pour Steven.

Or « Pébroque » était un géophysicien de génie, brillant, extrêmement talentueux, d’une grande intelligence bien sûr, mais aussi d’une grande finesse d’esprit. Mon père ne tarissait pas d’éloges sur son ami visiblement mieux fait à l’intérieur qu’en surface.

Cruellement,  son long séjour dans l’espace lui avait fait perdre la raison, seul depuis des mois dans sa minuscule capsule de survie, coincé dans l’ombre entre deux cailloux sur un astéroïde. Il avait été repéré par hasard par un mineur à l’œil de lynx juste avant de le désintégrer. Je ne sais pas si c’est une chance. On avait dû l’interner et, triste destin, le seul hôpital psychiatrique qui voulut l’accepter se trouvait sur… Reamy Dock, à l’endroit même où périt imbibée son ascendante éponge.

– « La vitre continue de s’éclaircir, les yeux mi-clos, je distingue un peu de bleu sur mes gants… J’ai l’impression qu’il fait meilleur?… »…………………..

Le mineur avait dû vendre à  bon prix cet homme  aux impériaux, et ces derniers j’imagine avaient essayé ensuite de récupérer leurs crédits auprès des démocrates, voyant qu’ils ne pouvaient plus rien tirer de cette pauvre tête vide………………

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